Télétravail en France : faut-il craindre sa disparition ?

L’essor du télétravail durant la crise sanitaire a bouleversé les habitudes professionnelles en France. Nombreux sont ceux qui ont goûté à la flexibilité et aux avantages de travailler depuis chez eux. À mesure que les entreprises reprennent leur rythme d’avant-pandémie, certaines d’entre elles envisagent de revenir à un modèle plus traditionnel.

La question se pose : le télétravail est-il menacé ? Entre les dirigeants soucieux de la productivité et les employés attachés à leur nouvelle liberté, un équilibre délicat doit être trouvé. Les organisations devront redéfinir leurs pratiques pour répondre aux attentes et aux besoins de chacun.

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État des lieux du télétravail en France

Les chiffres fournis par la Dares, service de statistiques du ministère de l’Intérieur, montrent une adoption massive du télétravail durant la crise sanitaire. Près de 41 % des salariés français ont travaillé à distance au moins une fois par semaine en 2020. Cette proportion a significativement baissé après les confinements, mais le télétravail reste solidement ancré dans les pratiques professionnelles.

L’Observatoire du télétravail, cofondé par Emmanuel Abord de Chatillon, professeur de management à l’IAE de Grenoble, souligne que le modèle hybride, alternant présentiel et télétravail, est de plus en plus privilégié. Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH, observe que cette flexibilité est devenue un critère central pour attirer et retenir les talents.

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Les secteurs les plus concernés

Certaines industries sont plus enclines à adopter le télétravail. Selon une étude de l’Apec :

• Les services informatiques et les activités financières sont en tête.
• Les entreprises de conseil et de stratégie suivent de près.

Vincent Aussilloux, chef du département Économie – Finances de France Stratégie, appuie que cette tendance est particulièrement forte dans les grandes métropoles comme Paris et Lyon.

Les enjeux pour les entreprises

Les défis posés par le télétravail sont multiples. Antoine Naboulet, adjoint à la directrice du département travail, emploi, compétences chez France Stratégie, met en lumière les besoins en matière de sécurité informatique et de gestion des ressources humaines. Dimitris Mavridis, chef de projet au même département, ajoute que la question du lien social et de la cohésion d’équipe reste un enjeu majeur.

La question de savoir si le télétravail est menacé ne peut être tranchée sans considérer ces multiples dimensions. Clara Laborie de l’Observatoire du télétravail et Emmanuel Abord de Chatillon s’accordent sur le fait que la pérennité du télétravail dépendra de la capacité des entreprises à adapter leurs pratiques organisationnelles et à répondre aux attentes des salariés.

Les raisons de la remise en question du télétravail

Les voix critiques du télétravail se multiplient. Elon Musk, PDG de X, Tesla et Space X, a récemment fait parler de lui en exigeant le retour de ses employés au bureau. Il considère que la productivité est meilleure en présence physique. Andy Jassy, PDG d’Amazon, partage ce point de vue, soulignant que la collaboration et l’innovation se nourrissent des interactions en face à face.

Les arguments contre le télétravail

Plusieurs experts pointent des effets négatifs du télétravail. Jean Viard, sociologue à la Fondation Jean Jaurès, évoque la perte de liens sociaux et l’isolement des salariés. Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, ajoute que le travail à distance peut renforcer les inégalités entre ceux qui disposent d’un espace adéquat et ceux qui ne l’ont pas.

Gilbert Cette, professeur d’économie à l’Université d’Aix-Marseille, met en avant les difficultés de management à distance, notamment en termes de suivi des tâches et de motivation des équipes. Pierre-Olivier Monteil, professeur à l’ESCP Europe et à l’Université Paris-Dauphine, souligne quant à lui les risques de dilution de la culture d’entreprise.

Les perspectives des urbanistes et sociologues

Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d’urbanisme, observe que la généralisation du télétravail pourrait avoir des impacts majeurs sur l’aménagement des territoires. Les centres-villes perdraient de leur dynamisme économique si les bureaux se vidaient.

Erwann Tison, directeur des études à l’Institut Sapiens, rappelle que le télétravail, s’il n’est pas encadré, peut aussi brouiller les frontières entre vie professionnelle et vie privée, générant stress et burn-out. André-Yves Portnoff et Morgan Poulizac, conseillers scientifiques chez Futuribles International, partagent cette analyse, soulignant que le télétravail doit être accompagné de nouvelles pratiques managériales pour être durable.

Les impacts potentiels de la fin du télétravail

La fin du télétravail pourrait avoir des conséquences variées, tant sur les individus que sur les organisations. Les salariés comme Aurélien d’Amadeus et Friedrich d’Orange témoignent d’une amélioration de leur équilibre entre vie professionnelle et vie privée grâce au télétravail. Une suppression de cette modalité de travail pourrait donc entraîner une détérioration de leur qualité de vie.

• Betty Seroussi, PDG de Travel Planet, alerte sur un possible impact négatif sur la productivité. Elle souligne que les gains de temps réalisés grâce à l’absence de trajets domicile-travail ont permis à de nombreux employés de mieux s’organiser.
• Clément Montigny, délégué syndical chez Ubisoft Montpellier et au Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo, met en garde contre un retour massif au présentiel, qui pourrait accroître le stress et la fatigue des salariés.

Conséquences économiques et sociales

La journaliste Aline Métais de France Télévisions rappelle que la disparition du télétravail pourrait aussi affecter le secteur immobilier. Les entreprises, en réduisant leurs surfaces de bureaux durant la crise sanitaire, ont permis une reconfiguration des espaces urbains. Un retour en masse au bureau pourrait inverser cette tendance et relancer la demande de grands espaces de travail.

Clara Laborie, chercheuse à l’Apec, note que les jeunes diplômés étant plus enclins à rechercher des postes offrant du télétravail. Une suppression de cette option pourrait rendre certains secteurs moins attractifs pour cette tranche de la population active.

Vincent Aussilloux, chef du département Économie-Finances chez France Stratégie, et Antoine Naboulet, adjoint à la directrice du département travail, emploi, compétences, soulignent que le télétravail a permis de maintenir une activité économique durant les confinements. Une révision de cette pratique nécessiterait une réflexion approfondie sur les nouvelles formes d’organisation du travail.

Les perspectives d’avenir pour le télétravail

La pérennité du télétravail en France dépendra de nombreux facteurs. Jean-Luc Fugit, député et membre de l’OPECST, considère que les progrès technologiques et les attentes des salariés joueront un rôle fondamental dans la généralisation de cette pratique.

Guillaume Poupard, directeur général de l’ANSSI, insiste sur la nécessité de renforcer la sécurité des infrastructures numériques pour garantir la confidentialité des échanges et la protection des données sensibles. Les entreprises doivent investir dans des solutions robustes pour prévenir les cyberattaques.

• Aurélie Jeantet, sociologue à l’Université Paris III Sorbonne-Nouvelle, observe que les nouvelles générations de travailleurs, plus digitalisées, privilégient des modalités de travail flexibles.
• Fabien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cételem, souligne que le maintien du télétravail pourrait aussi contribuer à réduire l’empreinte carbone, en diminuant les déplacements quotidiens.

Béatriz Arantes, chercheur chez Steelcase, mentionne que l’aménagement des espaces de travail doit évoluer pour s’adapter aux besoins des travailleurs hybrides. Elle préconise des bureaux partagés et des espaces collaboratifs pour encourager l’innovation et le travail en équipe.

L’Université Laval à Québec, en collaboration avec des chercheurs européens, explore des modèles d’organisation du travail qui pourraient inspirer les entreprises françaises. Des initiatives pilotes démontrent que le télétravail, bien encadré, peut s’inscrire durablement dans les pratiques professionnelles.